jankelevitch trois

Rappel toutes les citations entre guillemets sont extraites d'oeuvres dont les rfrences portes en annotation, pour je ne sais quelle raison ont disparu au cours du changement de format de Mac Pc. Si vous voulez une rfrence exacte vous pouvez me la demandez en me mailant.

TROISIME PARTIE:

La vrit et l’agir :

Que vaudrait une survrit qui n’engendrerait rien ? Une survrit qui n’aurait aucune efficience garderait-elle encore son caractre sur-vridique ? Ou ne serait-elle pas plutt trop impeccable, trop littrale, pour pouvoir tre mise l’œuvre. Nous ne sommes pas des tres dont le seul but serait d’imaginer de beaux concepts ou de belles images et qui patiemment devraient attendre que la vrit et pour Janklvitch la survrit surviennent. Non, nous sommes des tres de l’intervalle : c’est--dire de l’entre-deux, nous vivons cheval entre le faire et l’tre. Notre nature est d’osciller. Que nous prenions conscience de notre faire et notre tre en ptira, et vice-versa. La survrit ici nous renvoie donc au faire.

Vient se greffer en plus la tentation de la ritration imitative. Guy Besse reprenant une phrase de Janklvitch l’a remarqu, "L’homme en devenir, l’homme-intervalle est incessamment tent par l’acadmisme, le plonasme, la paresseuse mutation de l’indit en recette pour la suite"1. Notre tentation est de nous laisser porter par l’vnement. Notre tentation est de transformer l’amour en une catgorie. Bref, notre amour ne voudrait tre que grammatique.

Or les vertus ne viendront pas toutes seules, et comme : "le Bien tant fait pour tre, il est l’affaire des militants "2. Et les militants du Bien sont chacun d’entre nous. Nous existons, non pour tre passivement, et accuser rception de notre tre et de notre devoir, mais pour nous faire tre et faire tre le Bien, les vrits et la sur-vrit.

"Etre c’est en effet essentiellement faire et oeuvrer"3 d’o la ncessit d’explorer cet univers, jusqu’ prsent laiss de ct, de l’agir moral, et d’tudier aussi ses relations avec la vrit et l’amour.

 

 

 

 

 

 

A) Dire ou faire :

 

1/CASUISTIQUE DU MENSONGE. LORSQUE DIRE ET FAIRE SE RENCONTRENT. L’ENGAGEMENT.

Pour agir d’une faon claire, le plus souvent nous essayons d’exprimer ce que nous allons faire. Le dire est alors une prparation au faire. Mais bien souvent nous pensons que dire c’est dj moiti faire, et pourquoi pas, qu’il sert viter de faire. Il y a plus d’une manire d’oublier de faire, en se retranchant derrire le verbe. C’est--dire qu’il existe plus d’une manire de faire croire et, donc de mentir. Il faut comprendre pourtant que le mensonge est "quelque chose". Indirectement il est vecteur d’une certaine vrit --fausse, certes, mais cette fausset est vridique. "On ment bien par la bouche" exprime Nietzsche4 ce qui marque la vrit inluctable du mensonge aussi "inluctable que l’authenticit de l’illusion"5. Le mensonge tombe ds que l’on commence l’interprter. Les paroles du menteur montrent par leur attitude et leur travestissement un certain genre de vrit, dans ce sens elles sont vraies6. L o elles sont fausses, c’est lorsque l’on dcide de les interprter, c’est--dire de se rendre compte de leur adquation avec ce qu’elles prtendent.

Tout se passe en ralit avant le mensonge, dans l’intention du menteur. Le menteur veut tromper. Mais il se peut qu’il n’y arrive pas, ou plutt s’il y arrive, il se peut que ce soit l’aide de la complaisance d’autrui7. Ici l’insincrit est des deux cts. Et des deux cts, "la superconscience englobante, qui est la conscience sincre de la surconscience"8 vite de paratre. Alors le mensonge s’enlise. Car il n’a rien d’anagogique le mensonge. Il s’paissit et s’embourgeoise autour d’une formule qui enferre "une dupe trop crdule"9.

Seul l’amour sauve, car seul il lira, eu gard "sa comprhension et son intellection charitable", " livre ouvert dans les nigmes du mensonge"10.

Mais ce n’est pas tout, car le menteur par le dtour interprtatif qu’il nous oblige raliser assouplit notre intellection. C’est rellement une odysse laquelle nous invite chaque menteur. Une odysse afin de retrouver dans les ddales de la confusion, une petite Ithaque de vrit. Cette gymnastique introduit l’ide de djouer les plans du paratre hypocrite, pour qu’enfin l’on n’ait plus jouer, afin "d’tre un jour tout simplement ce que l’on est"11.

Amour et mensonge sont lis troitement d’aprs Janklvitch12. Notre refus de comprendre notre frivolit tant li notre manque d’intrt humain. Bref, on ne comprend pas on juge. On condamne sachant que la condamnation engage bien moins que la comprhension qui est dj un aller au-devant de l’autre. Comprendre c’est prendre activement l’autre pour sujet humain, le condamner c’est le cristalliser dans une attitude et en gros l’objectiver. Juger, c’est dj se mettre avant tout hors de cause. Or Janklvitch, ne prcise-t-il pas que s’il y a "des fourbes autour de nous cela ne nous fait pas honneur "13. Les menteurs, dans le mme esprit, ne sont-ils pas un reflet de notre tat d’esprit : "A chacun les menteurs qu’il a mrits et qui lui renvoient fidlement son image"14.

Alors au lieu de juger le mensonge soyons plutt gnreux avec lui, cessons de manquer de gnrosit, ce qui est pour le philosophe "la cause fondamentale du mensonge"15, car en fin de compte "tout le monde a tort et des comptes rendre"16.

Ce problme du mensonge nous a introduit en ralit l’ide de sincrit. Car le mensonge peut intervenir trois niveaux, et c’est lorsque ces trois niveaux divergent entre eux qu’il y a mensonge. Ainsi l’union de ces trois niveaux, qui sont le dire, le penser et le faire, s’ils manquent de sincrit concourent au mensonge. Crer l’accord entre ces trois moments, c’est donc essayer de djouer les piges de l’hypocrisie.

Ces piges de l’hypocrisie qui sont, de ne pas faire comme l’on dit ou l’on pense, de faire ce que l’on dit, sans penser ce que l’on dit ou fait, et d’autres multiples combinaisons retorses nous enjoignent non de nous mfier des autres, mais au contraire de lui faire confiance, et cela au-del de toute logique. C’est ce que prconise en effet Janklvitch.

Non qu’il faille tte baisse et cote que cote se jeter navement chez le menteur avec nos belles paroles. Mais avec sincrit aller de l’avant vers lui, et l’apprivoiser en sachant que la mfiance engendre chez autrui immanquablement, le dsir de tromper, tout comme la sincrit profonde engendre elle aussi le dsir d’tre sincre. Car la sincrit peut tre diffusive par contagion17.

Sincrit, srieux, sympathie s’interpntrent ici pour faire natre la vrit "dans une invitation au recueillement et la profondeur"18. Au-del de toute logique donc, c’est--dire dans l’esprit qui nous est inspir par l’amour nous devons notre tour inspirer l’amour et la confiance. Pour cela il faut commencer par, "Dire ce que l’on pense - voil toute la formule de la Franchise"19.

Ainsi les fianailles du dire et du faire se font sous les auspices de la sincrit. Les trois formules de la sincrit s’exprimant dans les trois accords suivants "accord de la pense et de l’acte; de l’acte et du propos; de la pense avec elle-mme"20 il faut une volont dcisive de conformit, qui ne peut tre qu’une volont sincre. Le lien entre le dire et faire est celui d’une relle bonne intention sincre. L’intention chez Janklvitch, s’exprime dans la volont de l’action et du fait. Le dire n’a pas la parole efficiente, elle n’est pas en cela magique, il faut la mettre en œuvre car parler c’est tout juste ne faire qu’un bout de chemin. La sincrit courageuse veut la fin et les moyens : "Une volont d’action sans la volont de l’œuvre serait simple athltisme, asctisme ou besoin sportif; volont ludique mais non srieuse"21.

On peut promettre beaucoup et ne rien faire aprs. C’est penser que le dire n’implique pas le faire et mme plus que cela, c’est penser que le dire n’est que lettre morte qui n’implique rien. A ce titre tout et n’importe quoi pourrait tre dit et, justifi, si cela n’engage rien, c’est--dire aucune action. C’est ainsi que l’on peut affirmer que lorsque dire et faire se rencontrent, le faire agissant rtroactivement sur le dire, montre que celui-ci n’tait pas du "bluff" : "car c’est dans les actes que l’on reconnat le srieux et l’authenticit de la bonne volont"22 et pas ailleurs. Finalement, dans la rencontre mutuelle du faire et du dire, le dernier mot revient au faire.

Quelle voie reste-t-il alors l’homme de bonne volont si ce n’est l’engagement avec toute son me ? Pourquoi ? Parce que les restrictions que peuvent lui dicter sa conscience, outre le fait de le diviser et de le faire tomber dans la "dmentia"23, rendront cet homme insincre, ou avec lui-mme, ou avec les autres. La linarit des actes humains doit trouver sa source dans l’unit de la conscience humaine, elle mme rvlatrice de la sincrit, et de la conciliarit, Sobornost 24, des multiples consciences internes, car "l’insincrit soi suppose le pluriel des consciences internes"25.

L’engagement faire que prconise Janklvitch donne le rsultat de "devenir ce qu’on est"26. Si tre va de soi, tre-soi est de l’ordre du courage. Mon moi reste conqurir car "je suis Moi c’est dire que je le deviens"27, donc que ma vrit prsente est toujours en-de de mes propres possibilits, inscrites dans mon Ipse. En gros, je suis toujours faire, donc j’ai toujours aller rattraper ma vrit celle, qui est inscrite dans mon ipsit et que je n’ai jamais fini de dvelopper ou dplier. En consquence "celui qui ne fait rien n’est rien"28. Celui qui n’actualise pas son tre est donc moins que de l’air, son efficience tant nulle on peut le considrer comme inexistant.

N’oublions pas aussi que s’engager faire c’est aussi se donner or "pour se donner il faut s’appartenir"29. Ce passage l’acte de l’tre au se faire-tre est pour Janklvitch, signe de courage : "c’est la vertu du passage l’acte"30.

 

2) SE FAIRE TRE CONTRE UN DIRE CREUX ET VAGUE : VIVRE. DE L’INSTANT L’INTERVALLE :

"Et moi aussi j’ai voulu tre. Je n’ai mme voulu que cela;

voil le fin mot de ma vie : au fond de toutes ces tentatives

qui semblaient sans liens, je retrouve le mme dsir :

chasser l’existence hors de moi, vider les instants de leur graisse,

les tordre, les asscher, me purifier, me durcir,

pour rendre enfin le son net et prcis d’une note de saxophone."

Jean-Paul Sartre, La Nause, page 246. Op.Cit.31

Avoir le courage de s’appartenir au lieu de se laisser appartenir par son tre ou par le temps qui passe c’est d’emble rompre avec une situation donne et premire. L’obstacle de l’tre c’est l’obstacle du passif de la passivit du laisser-tre. C’est aussi ds que l’tre s’veille lui-mme l’obstacle de la rtrospection et de l’introversion "car la conscience de soi est comme la libert elle-mme une arme double tranchant(...)elle est aussi perversion et nous dtourne de notre vocation qui est d’aimer et d’agir"32. Elle est l’obstacle primordial l’innocence qui "suffit rendre la puret impure, faire de la blancheur immacule une grisaille"33.

Comment faire pour faire, pour vivre en se faisant vivre, sans tomber dans les piges d’un tre trop passif et "embourgeois" ou d’une conscience trop scrupuleuse ? Penser ou faire, l’alternative semble tre celle-l. Une alternative un peu trop manichenne peut-tre. Allons donc contre "ces chevaliers du dilemme simpliste !"34. Car faire sans jamais se rendre compte que notre faire doit-tre issu d’un choix, donc d’une rflexion, ce serait tomber dans les piges encore plus nfastes de l’habitus ou de l’inconscience.

Il faudrait plutt pouvoir allier dire et faire, au lieu de les opposer. Faire en sorte que le dire invoque le faire, c’est un premier pas, mais ce n’est pas suffisant. Car aprs tout dire ce n’est pas faire.

Pour faire de quoi a-t-on besoin ? Tout simplement de vouloir. Et vouloir n’est pas difficile35. En tudiant l’acte crateur, le philosophe nous annonce que la cration vient d’un acte drastique, issu d’une dcision qui est effective immdiatement. Ce faire primordial et diste est un faire qui fait tre36. Si nous sommes "Dieu d’un milliardime de seconde"37 c’est dans cette possibilit que nous avons, nous aussi, de crer en faisant tre. Mais nous sommes noys dans les discours. La parole semble oblitrer le champ de notre effectivit. La parole renvoie notre condition humaine qui est d’tre, en tant que, quatenus, tel individu ayant tel statut social et dans certaines limites. Nous sommes en tant qu’humain prsent ici ou l toujours pris dans un discours justificatif. Alors que le faire cre sans justification, il fait, un point c’est tout. Notre tre nous impose le discours pour savoir le pourquoi et le comment. Mais le danger c’est de nous perdre dans les circonlocutions, les propositions, au lieu de faire purement et simplement. Car s’il fallait toujours peser le pour et le contre, il se peut que jamais nous eussions ralis quoique ce soit.

Faire est l’acte d’un instant. Celui d’un milliardime de seconde qui est tout empreint de mystre38. On peut dire aussi que cet acte thtique qui pose la possibilit de l’existence, donne tre. N’y a-t-il pas ici l’ide d’une gnrosit efficiente ? Quel est l’acte gnreux par excellence, si ce n’est celui qui fait tre, qui donne la possibilit d’tre. Ainsi faire est au-del de toute justification possible puisqu’il est l’acte qui pose l’tre et avec lui sa justification39. D’aprs Janklvitch, on rejoint Plotin disant de l’Un qu’il "est avant le plus prcieux, pro tou timiwtatou..."40. C’est dire avant la valeur, dans le langage de Janklvitch, car l’acte qui fait donne dans le mme instant sa justification. C’est dans l’acte que l’on trouve la raison de l’acte et pas ailleurs. Car l’acte porte la cration, le don et l’amour en lui. Il est de ce fait l’irraisonnable par excellence. Il comprend ce qui est incomprhensible. Au lieu de palabrer sur l’tre et ses modalits le faire fait tre, et l tout discours est renvoy dans ses bla-bla obscurs. En bref, le faire n’a que peu de choses voir avec un dire prvoyant.

Vivre, dans cette mesure revient se faire tre en faisant. Seul alors notre faire nous fait tre. Cette dit d’un milliardime de seconde, que Janklvitch nous accorde, sert nous faire tre, car bien videmment nous ne sommes pas comme le crateur absolu, capable de crer d’autres tres humains vivants. Mais notre cration est d’un ordre plus modeste; elle nous fait tre, car en crant on se pose d’emble comme crature cratrice. Mais ce faire tre l ne dure qu’un instant. C’est effectivement pendant la trs courte priode du faire que nous nous faisons tre, et le reste du temps que sommes nous ? Ce reste du temps Janklvitch l’appelle l’intervalle; intervalle entre deux instants drastiques, eux-mmes inscrits au sein de l’humaine condition. Tout homme tant lui-mme compris dans un intervalle ontique "plus grand" qui est celui entre la naissance et la mort.

Vivre n’est donc pas facile. L’cueil viter tant de se reposer dans l’intervalle, c’est--dire que l’instant du faire "s’oppose en cela au Devenir et l’Etre"41. Le devenir qui est continuation "d’instants dilus et dtendus" et l’tre qui est "conglation de l’instant". Vivre, dans cette mesure n’est pas seulement faire mais aussi refaire. Comme "l’homme est le Dieu de l’instant"42 notre penser, notre dire doivent tre sans cesse, dpasss par l’acte. Car l’homme n’est demi ou moiti de dieu que parce qu’il est un "faire tout emptr dans l’tre".

Voil o se cache la vrit du vivre de l’homme, dans ses oeuvres car les paroles ne suffisent pas. "Crer, commencer, donner : ces instants prvenants se rsument dans le joyeux mouvement d’amour, qui est la reposition humaine de la position fondatrice"43. L’homme se refait en crant. Il se cre en donnant. Bref, il cre par amour.

Nous en arrivons au problme crucial du vivre de l’homme et de son devenir. L’homme est n sous le signe de l’alternative44. Il est pris entre des instants clairs d’intuition, qui lui font faire et un dsir de stagner dans son avoir fait comme s’il trouvait qu’il en avait assez fait comme cela. Soit il choisit l’intervalle o il "s’allonge sur le divan du devenir"45 soit il choisit la vigilance aux occasions de faire, qui lui permettront d’exercer sa libert46. Or les occasions ne se cachent pas. La vrit est qu’elles sont plthores, simplement il s’agit pour nous d’tre capables de pouvoir les reconnatre.

L’instant de l’occasion, c’est l’instant de la vrit. Tenir en quilibre le plus longtemps possible au sommet d’un instant fugitif, c’est "tenir au sommet de la vrit"47. La vrit nous est donc donne. Non, dans l’attente passive, mais dans la vigilance active qui nous fait tre aux aguets et l’afft. "C’est ainsi que tout peut devenir occasion pour une conscience en verve capable de fconder le hasard et de le rendre oprant"48 et il n’y a donc "pas de rgles"49 pour la capture de la vrit.

Sur cette faon de voir la vrit peut-on asseoir une sagesse50 s’interroge Janklvitch, car aprs tout que faire de vrits inutilisables. Or la multiplicit des occasions semble que nous puissions rpondre oui. La vie cet gard est considre comme l’Occasion des occasions51. Sans ce vivre acrobatique qui nous force tenir en quilibre sur cette trs fine pointe de l’instant, cet acumen acuminis, nous ne pourrions rien connatre. Les discours ne nous font pas connatre. Nous savons immdiatement, dans le feu de l’occasion vigilante, tout ce qu’il y a savoir. Le discours n’existe pas avant, ou alors tout au plus comme une sorte de propdeutique vasive, mais qui ne peut pas tre de l’ordre du tout-autre ordre de la vrit, et n’existe aprs que comme signe de notre retombe dans l’paisseur d’un quotidien qui nous fatuitise.

Si nous ne russissons pas nous maintenir sur cette trs fine pointe, c’est qu’il nous faudra jouer les acrobates. "La solution est lointaine comme l’horizon"52. La solution est d’autant plus lointaine, que notre agir se doit d’tre inspir, cette inspiration ne pouvant venir que d’une conscience amoureuse en tat de grce. Le problme du faire et de l’tre renvoie de ce fait celui de l’amour et de l’tre. Mais avant d’tudier la relation de l’tre et de l’amour chez l’homme, nous avons comprendre l’exemple, du faire divin bauch prcdemment, et qui nous aidera prciser la vrit humaine de l’homme. Forts de ces analyses prliminaires, nous caractriserons les principales notions qui font la vrit de tout agir, pour enfin reconnatre et tudier ce qui fait le fond de l’action humaine et divine, savoir l’amour.

3) DE L’EXEMPLE DE DIEU L’IDE DE L’HOMME : IMPLICATION DES VERTUS DE LA VRIT DANS LA VIE HUMAINE.

Ce je-ne-sais-quoi qui apparat et disparat qui est fere absconditus, presque cach ou cach de temps en temps, ne peut-il tre rifi ou plus exactement difi, en bref, assimil au Dieu des chrtiens ? Il semble que Janklvitch ait pens que cette assimilation pouvait se faire53. Nous aurions, l’instar d’Eurycle, un vague pressentiment qui nous induirait reconnatre dans le je-ne-sais-quoi ce Dieu des chrtiens. Et en ralit la ressemblance est forte. Le problme est de savoir si Janklvitch emploie le terme je-ne-sais-quoi aux lieux et places du concept chrtien de Dieu, ou y aurait-il une ressemblance qui serait d’ordre pneumatique et non grammatique ?

Que veut dire Janklvitch lorsqu’il parle du je-ne-sais-quoi ? Cela nous semble important de le prciser dans la mesure o il pourrait y avoir lgitimement confusion entre la vrit du je-ne-sais-quoi et celle du Dieu chrtien. "En parlant d’un je-ne-sais-quoi, nous exprimons seulement le fait que l’apparition disparaissante chappe toute rationalit, mais qu’elle n’est pas moins rfractaire aux mtamorphoses de l’anthropomorphisme"54.

Ceci pour prciser l’ide que la vrit du je-ne-sais-quoi n’est pas adquate l’ide d’un Dieu dont la caractristique serait d’tre "une sorte de divinit qui s’appellerait apparition-disparaissante"55 et qui serait un dieu "feu-follet".

Pour la simple raison qu’un je-ne-sais-quoi, il est impossible de faire de lui une image personnifie. L’ide d’un Dieu mort et ressuscit, c’est--dire de temps en temps visible, (Cf. les pisodes des diffrentes apparitions post-mortem de Jsus : l’apparition au tombeau, Emmas, l’apparition devant Saint Thomas... ), donc fere absconditus, ou cach de temps en temps, peut paratre compatible avec le je-ne-sais-quoi vasif, impalpable et indicible.

Mais le je-ne-sais-quoi n’est pas une religion avec un dieu anthropomorphique, et Janklvitch n’est pas un gourou qui vient proposer une nouvelle forme de systme thologique.

Pour une autre raison enfin, qui est que le "crateur opre hors catgories"56. En tant qu’il opre, il fait-tre. En tant qu’il est hors catgories, on ne peut rien dire de lui avant qu’il n’ait opr. Aucun moyen rationnel nous est permis afin de savoir ce qu’il est. Tout ce dont on peut se rendre compte c’est qu’ il est. On peut dire que le crateur donne ce qu’il n’a pas lui mme, car s’il l’avait, il l’aurait de toute ternit. Et de ce fait il n’oprerait plus hors catgories mais avec et dans les catgories ce qui nous permettrait de le connatre avant ses oeuvres. Le je-ne-sais-quoi caractrise cette ide sans tre pour autant le Dieu qui opre hors catgories.

Il caractrise d’autant plus cette ide qu’il peut la caractriser chez l’homme dont l’me est elle-mme "nescioquid relatif"57. Car l’me de l’homme, je-ne-sais-quoi relatif, est solidaire "d’une existence physique"58. Il est prsent avant tout faire. Le crateur lui est un je-ne-sais-quoi absolu, c’est bien un quelque chose dont il nous est impossible de dire ce que c’est; on ne peut que dire "il y a", ou "cela est" qui donne en crant, qui donne ce qu’il n’a pas lui-mme59. Puisque, encore une fois, s’il l’avait on pourrait le connatre parce qu’il possderait les attributs de la catgorie. En revanche l’homme donne sous le signe de la pnurie. Ce qu’il donne il ne l’a plus.

Mais il peut aussi donner et possder encore. Le don d’un sourire lorsque celui-ci n’est pas forc reste un don inpuisable. Pourquoi faut-il "qu’il ne soit pas forc" ? Car pour Janklvitch l’innocence sauve de tout. Et mme de l’impossible. Nous avons nous aussi des trsors inpuisables. Seule notre conscience y fait obstacle60. notre conscience forcerait notre sourire, et nous rendrait alors complaisants.

Si l’homme est un Dieu relatif, c’est parce qu’il est physique, donc impliqu dans un temps qui le charge d’tre, de devenir et de faire. Dans un temps qui le force s’exprimer, dire et redire, faire et refaire. Avec l’homme l’ouvrage est toujours refaire. Il ne peut asseoir aucune sagesse sur ces trs fines pointes de l’instant qui aussitt qu’elles apparaissent, disparaissent. Il ne suffit pas qu’il soit ou qu’il dise pour que tous ses possibles s’actualisent.

Il lui faut certaines qualits afin de ne pas perdre cette vrit qui le temps d’un instant a suspendu son vol. Tout d’abord il faut l’homme faire retrouver une certaine innocence. Retrouver cette possibilit du don sans arrires penses. Pourtant nous nous heurtons la vrit de notre dignit humaine qui est le pouvoir de prendre conscience. Or "comment l’tre pensant peut-il s’empcher de prendre conscience ?"61. Difficult suprme que Janklvitch n’a pas la prtention de rsoudre simplement. Comment faire ? Il n’y a pas de rgles. Ici encore, l’instant de la bonne manire issue de l’intention directe prvaut toute autre vrit.

Les autres qualits qui peuvent soutenir la vrit du bon mouvement sont au nombre de huit pour Lucien Jerphagnon62. Toutes nous les connaissons. La seule chose qui fasse qu’elles ne seront pas biaises par les piges de la bonne conscience c’est leur attachement sans fausse complaisance, sans prtention, la vertu premire et aussi ultime. Celle que l’on appellera Amour. C’est dans et par cet attachement primordial l’au-del de toutes les vertus, que ces dernires prendront leur vritable visage et ne pourront devenir des singeries63.

Certes l’amour parat tre la vrit ncessaire toute conduite humaine, mais elle ne serait pas utile si l’on ne devait pas faire. Si nous n’tions pas plac sous le signe du devoir tre. Si nous n’tions pas placs dans la ncessit gnrale de l’effectivit.

B) L’effectivit et ses caractristiques :

 

1) POURQUOI EN GNRAL FALLAIT-IL QUE ?

 

C’est--dire pour quelle raison cette ncessit du fait-que ? Le "fait que" exprime ici toute la connaissance que nous pouvons dtenir. Car ici notre connaissance se heurte l’inconnaissable par excellence. L’inconnaissable est ce sur quoi tout se fait, c’est--dire le temps, ce sur quoi tout se heurte et se forme. Le temps dont nous ne connaissons pas le pourquoi mais juste le fait qu’il soit.

Alors pourquoi fallait-il qu’il fut ? Nous connaissons son effectivit et nous mconnaissons sa nature. Dans un autre ordre d’ide on pourrait dire, que l’on ne connat pas ce qui fait la vrit de l’effectivit. Qu’est-ce qui donne cette vrit inalinable l’effectivit du temps ?

Autant de questions qui toujours nous ramnent notre propre finitude. Cette vrit premire sans laquelle nous ne serions pas ce que nous sommes. Pourquoi alors la mdiation64 du temps nous est-elle obligatoire ? "Pourquoi l’alternative" 65 ? "L’organe-obstacle dans sa duplicit mme, n’est-il pas la misre des misres ?"66. Toutes sortes d’interrogations qui sont ce que Janklvitch nomme le "pourquoi avec exposant", "le problme du problme"67. Ces interrogations sont pour le philosophe autant de rvlations de notre misre. Notamment lorsqu’il prend l’exemple de Socrate et de son ironie. Pour lui c’est une misre que Socrate soit oblig de passer par le mouvement ironique pour nous faire comprendre la vrit. Pourquoi ce dtour au lieu d’une comprhension directe ? "N’est-ce pas une forme de misre que cette obligation d’attnuer la vrit ?"68. "Apparemment il (le crateur) n’tait pas magicien"69. Et il n’a pu suivre des voies moins tortueuses pour arriver ses fins.

Pourquoi ? Nous n’en savons rien. D’o cette ide que la recherche de la vrit nous plonge dans le dsarroi avec la permanente ide de l’ambigut et de l’ambivalence, par exemple de l’organe-obstacle. En filigrane se profile toujours le problme du temps "qui nous impose l’expectative"70. "Finalement le pourquoi ? reste sans cho et se perd dans le silence"71.

Le problme de l’effectivit, c’est sa raison d’tre. On ne comprend pas le fait-de72. On ne comprend pas le fait de la douleur, par exemple. Et l tout l’univers optimiste Leibnizien s’croule. Par exemple dire "la souffrance c’est la vie qui se dfend pour survivre" "est-ce un prtexte de la mauvaise foi et pour tout dire un sophisme ?"73.

De l l’ide trange de Janklvitch, mais qui aprs ce que l’on vient de montrer est largement atteste par les faits : "Le temps est la forme priori de toute mconnaissance"74. Car le temps, ce sur quoi tout se fait et se dfait est aussi ce sur quoi tout se comprend et se mprend. Bref "le temps est un je-ne-sais-quoi"75.

Pourtant mme si le temps a en lui inscrit cette tare de la mconnaissance "la vrit et l’vidence ont toujours le dernier mot..."76.

Janklvitch exprime ici toute l’ambigut et l’ambivalence du fait du temps. Le temps est multiple selon qu’il est mrissement ou malentendu par excellence, selon qu’il est possibilit de la rvlation de l’instant77 ou intervalle qui s’paissit.

Aussi n’a-t-on que le temps que l’on mrite. Et le fait de la vrit finira par s’bruiter...Les calomniateurs s’essoufleront tt ou tard78. Et nous pouvons ajouter : le temps lui aussi s’essouflera pour chacun de nous, et un jour nous, si l’on peut dire, plus exactement les tmoins, ceux qui resteront, sauront notre vrit. Pour les poseurs la mort sera leur seule vrit, car pour une fois c’est du srieux79.

Bref, la connaissance est "un jeu avec l’insaisissable"80 et, le temps est le support de cet insaisissable. Le devenir est ce titre "l’insaisissable manire d’tre de l’tre" : "le temps est l’intention de l’tre"81. Le temps est la seule manire d’tre de l’tre.

En revanche lorsqu’il s’agit de l’homme et de son faire le temps ne suffit plus. Il doit faire natre le faire. Le temps seul n’est plus suffisant. Il ne faut plus se laisser bercer par la douce berceuse du temps. L’homme doit se faire tre drastiquement et, par un effet de sa volont s’inscrire comme un tre part entire, avec ses raisons et, non se contenter d’un simple advenir. Car tre ne demande aucun effort.

Tout est dans la manire et dans les occasions82 que nous aurons d’prouver nos manires d’tre. Manires qui sont intentionnelles et qui sont excutables sur le champ. Sans essayer de renvoyer la chose faire plus tard. C’est tout de suite qu’il faut faire.

De mme que "l’tre absolu est le faire-tre port au comble de l’intensit"83. Pour l’homme "tre sera essentiellement faire et oeuvrer"84. L’alternative, qui va jusqu’au dchirement lorsqu’il s’agit du faire de l’homme, qu’il soit moral ou non, nous est donc mise ici en vidence; entre l’tre pur et simple continuation dans le temps, et le faire qui est l’agir volontaire dans le temps.

A la question du "Pourquoi en gnral fallait-il que..." la rponse ne nous donne gure de prcision sur la raison de l’empirie. Dans Philosophie premire on peut voir une sorte de rponse lorsqu’il reprend le "Parce qu’il est bon" du Time de Platon. Creusant cette rponse, Janklvitch signale que Dieu n’est pas crateur l’occasion, mais qu’il est "toute cration"85. Donc la question pourquoi tout cela a-t-il t cre, la rponse ne peut-tre que parce que. C’est--dire parce qu’il est crateur. "Ce Parce que circulaire n’est donc que la rptition du Pourquoi"86. Mais cette interrogation radicale nous permet de soulever le problme du quod et du quid. Car si nous ne pouvons pas savoir les raisons qui nous font tre, nous pouvons nous interroger sur l’empirie et ses manires d’tre. Concept, s’il en est chez Janklvitch, qui nous permet de mieux savoir ce que sont les limites de notre connaissance.

 

2/ LE QUOD ET LE QUID :

Le "Pourquoi avec exposant" nous renvoie l’interrogation sur le fait-de l’empirie : sur sa quoddit ainsi qu’ la question sur la nature de l’tre. Si nous cherchons savoir ce qu’est l’tre la question restera sans rponse car toutes les copules attributives que nous accolerons l’tre seront plus spcifiques que lui et le rduiront. L’tre n’est pas un ceci ou un cela. En revanche nous savons "qu’il y a tre"87, le fait de l’existence de l’tre sans que sa nature puisse nous tre connue, c’est ce que Janklvitch appelle la diffrence entre le quod (le fait-de) et le quid.

"Ce fait en gnral que quelque chose existe, ce je-ne-sais-quoi qui est le fait de l’tre nous le nommerons le Quod "88. En une formule lapidaire, "le nescioquid est la vraie quoddit du quid "89, le philosophe exprime l’ide que ce que nous ne savons pas, c’est cela mme qui fait la consistance de ce qui est. Sans le mystre, il n’y aurait pas de rel. Nous pouvons seulement apercevoir cette nature de l’tre, cette vrit intime de l’tre dans "un clair : comme vnement ou apparition"90.

Car, "Je ne sais pas quoi, mais non notez-le je ne sais rien"91 et cela laisse supposer que tout de mme, je sais un peu, sinon je ne pourrais mme pas affirmer que je ne sais pas quoi. "Je ne sais pas quoi donc j’ai vent de quelque chose; donc je suis vaguement au courant de la vrit"92. Nous avons aperu dj mais sans pouvoir s’y appesantir, nous avons donc entrevu.

Le concept du quid et du quod nous amne nous interroger sur la manire dont nous pouvons atteindre la vrit. "Tantt nous avons de la vrit diffuse et diffluente un sentiment vague, insatisfait, nostalgique, o s’expriment, comme l’indique le nom "Je-ne-sais-quoi", l’impuissance connatre exhaustivement (...)Tantt l’entrevision se concentre dans l’blouissement d’une intuition, mais cette intuition ne dure que l’clair d’un instant"93. Notre savoir balance entre deux options. Tantt nous savons les manires sans en connatre la raison. C’est ce qui se passe lorsque nous connaissons le quid sans le quod. Tantt, nous pressentons le quod sans le quid; c’est--dire que nous sentons qu’il y a quelque chose savoir mais ce savoir nous chappe, impalpable, lger vanescent. Il nous est impossible enserrer dans les griffes d’un homo loquax, vivant dans la continuation de l’intervalle.

Janklvitch laisse chapper un dsir " Quand le savoir trouvera-t-il l’existence consistante et la consistance existante, le quid et le quod, les incompossibles cumuls, la disjonction transcende, la vrit dans toutes ses dimensions ?"94.

Prenons l’exemple concret du temps qui est cette effectivit, "cette quoddit sans contenu"95 pour se rendre compte quel point nous vivons dans la disjonction. Le temps est l’exemple par excellence o l’on arrive deviner le quod sans en savoir le quid. De mme nous pouvons caractriser chaque moment du temps avec le quid et le quod : nous pouvons dire "est pass ce dont nous savons le quid mais n’exprimentons plus le quod"96.

Notre gnose, notre connaissance devrait tre caractrise par le "quod plus le quid" qui serait le savoir de l’instant et de l’intervalle, ce qui nous placerait dans un ternel prsent. Bref, nous caractrisons ici le Crateur. Mais essentiellement nous vivons dans l’intervalle, ce qui ne nous procure qu’une demi-connaissance, un demi-savoir pour des demi-vrits.

Ce je-ne-sais-quoi pose donc un rapport privilgi et unique avec l’effectivit. Car il est effectivit efficace "qui fait tre le reste"97. Il est ce dont on a l’impression fugitive, mais certaine qu’il est essentiel et que sans lui rien ne serait. Ce je-ne-sais-quoi de la quoddit permet les manires. Applique l’homme cette ide exprimera le fait qu’il suffira d’avoir quelque chose dire pour que les manires de le dire viennent toutes seules. Ici toute la logique des sophistes et des rhteurs est prise en dfaut.

Mais comment faire car la philosophie dsire avant tout pouvoir s’asseoir au milieu de ses concepts, la "fragilit extrme, de cet tat d’inscurit permanente"98 dans laquelle nous plonge cette demi-gnose nous force rester en tat d’alerte et donc participer avec le monde, plus que si l’on avait des concepts prts s’adapter ce qui nous entoure.

Cette analyse renvoie directement notre attitude dans le monde. Comment devons-nous apprhender celui-ci ? Dans quelle mesure ne nous embourgeoiserons-nous pas? Comment allier la prescience du quod avec les manires du quid ? Bref, comment devons-nous vivre ?

 

3/ L’IRRVOCABLE, L’AVOIR-FAIT, CE QUI EST FAIT EST FAIT :

Quelles sont les exigences respectives de la dimension du quid et de celle du quod ?

Le quid implique la parole. Ce sont les raisons de faire et les discours sur ses raisons qui s’talent "encombrent l’agora parlent haut et fort". Le quid c’est la manire qui veut s’expliquer. "Le quid est ce qui s’tale dans l’espace et se continue dans le temps"99. En fait, c’est la manire qui fait des manires. "Il n’y a l rien que bluff et vanit des vanits, exhibition et inflation"100.

En revanche le quod ne fait pas tant de manires. Il est le passage au faire tre. Il est "vraiment le tout autre ordre "101. D’ailleurs l’analyse grammaticale du quod comme conjonction "dsigne le pur fait impalpable qu’il faut faire"102. Bref, le quod dsigne ce "fiat extraspatial"103 d’une ncessit de faire, relative notre courage.

En regard de ce faire drastique les discours sont inutiles et illusoires. Surtout dans la mesure o l’on peut penser que dire peut prparer au faire. D’un ct il y a le discours qui s’tale, et de l’autre ce faire d’un tout autre ordre. Pourquoi ? Parce que faire procde d’un acte qui tranche, d’un coup d’un seul. Et dans l’acte du faire tous les discours sont suspendus; certes les commentaires iront bon train plus tard et, dans le temps qui se continue, mais rien, non, rien, ne pourra faire que cet avoir-fait n’ait pas t fait. Car chacun de nos gestes dans sa simplicit, son unicit catgorique, dans sa plnitude ontique, fait natre avec lui l’irrvocable.

Le temps de notre faire en plus d’tre d’un "tout autre ordre" ou cause de cela fait que chacun de nos actes est en-lui mme irrvocable. On ne peut pas faire que ce que l’on a fait n’ait pas eu lieu. Est-ce peut-tre notre dignit ?104. Car dans le faire c’est tout notre corps qui est mis en jeu.

C’est sans doute pour cette raison que notre corps peut aussi tre appel l’organe-obstacle105 du faire. Car le faire, du fait de notre physicit, est un faire par instants, et non comme le crateur absolu, qui est "ce faire-tre l’tat pur et continuel"106. "L’homme est un tre qui opre"107 rappelle Janklvitch. Il a donc un vouloir. Et mettre en œuvre ce vouloir. De l’homme n’mane pas le faire. Il doit mettre en œuvre ce faire car il est un tre de chair. Le Quod nous invite faire. Il est le signe de notre impratif faire.

Il faut faire. Mais il faut faire dans le temps. Le temps reprsentant ce qui nous permet de faire. Car le temps "est par excellence la carrire de notre libert"108. C’est dans le temps que nous pouvons dployer notre faire issu d’un choix qui est avant tout moral. Notre faire est prise de dcision, et courage de commencer109. Il est donc bien cet "acte rvlateur entre tous"110 dont parle Janklvitch. Il rvle nos intentions car il les exprime et les dploie au seul regard de l’instant. Il est l’image relle, visible de la sincrit de nos paroles et de nos penses.

Un faire cela se voit. Cela se voit et surtout cela reste. Ce qui est fait est fait et ne peut plus tre dfait. On peut changer ce qui a t fait on peut mme l’oublier mais on ne peut pas faire en sorte que ce qui a t ralis ne l’ait pas t. Introduire la notion de pardon, dans cette optique de l’irrvocable, semble donc particulirement mal ais; ou peut-tre n’en est-ce que plus facile, puisque l’on sait que nous ne pouvons pas dfaire le fait d’avoir fait. On ne peut faire revivre les morts du massacre "irrmdiable"111 juifs, tsiganes, homosexuels, tous tres dits "impurs", de la guerre de 39-45.

Ainsi pardonner n’est pas oublier ou remettre les faits, ou dire qu’ils n’ont pas eu lieu. Pardonner est d’un tout autre ordre. Parce que on ne pardonne que ce qui est impardonnable, on pardonne en se lanant.

Le faire porte en lui "les oeillres du courage"112 qui s’expriment dans la dcision du faire "de franchir effectivement le seuil du rel et le Rubicond de l’acte"113. "Le courage n’est pas un savoir mais une dcision" titre Janklvitch114. Il est une dcision et cet gard il n’a pas besoin de la rflexion. La rflexion et la dcision sont deux ordres totalement htrognes. L’un ne mne pas l’autre.

Ce mouvement du faire-tre n’existerait pas sans le courage, nous l’avons vu. Mais ce courage serait inexistant si la sincrit n’tait pas l, pour lui donner un certain lan. De mme que dans le courage et dans la sincrit, l’ultimit pointe son nez. La mort est l sous-jacente qui donne du poids notre faire115. La sincrit unifie les forces d’un courage, qui sinon se perdrait dans le pluriel des consciences et des vouloirs116.

Unification sans cesse ritre, et non uniformisation simpliste, car la sincrit "est coteux examen de conscience et ajustement inlassable de toute cette conscience tout son prsent"117. La paresse est donc exclure.

"Plus gnralement celui qui ne fait rien n’est rien; le non-tre est donc la limite extrme de la fainantise; l’inaction c’est l’inexistence et finalement la mort"118. L’exigence du faire implique d’tre toujours sur la brche toujours en veil et de ne pas, comme les aptres, s’endormir sur le mont des oliviers. Il est toujours l’heure de faire. Ou mieux, tant que l’on est en vie on a la possibilit de faire.

Ce qui rend compte sans doute de la raison pour laquelle la joie nous anime. Le faire nous aide " percer le plafond de notre finitude"119 dans ces instants bnis o l’occasion nous permet "d’tre franchement et en acte ce que l’on est dj essentiellement"120. Nous retournons ici encore cette effective sincrit du faire, qui ncessite le surmontement de l’obstacle de la vie quotidienne et de "l’effort partout inscrit dans la rude vrit du mouvement "121.

L’effort, l’irrvocable dans lequel nous plonge toutes nos actions en plus de donner un poids invitable notre faire, nous impose de faire srieusement. Non, qu’il s’agisse de pdanterie hautaine. Car le vrai srieux prend sa source dans le creux de la sincrit intime de chaque homme, et lui permet d’accder sa vrit propre. Une vrit propre qui n’est rien d’autre que celle de devenir ce que l’on est.

Bref, cette exigence du faire, dont Janklvitch montre la primaut ontique absolue, sur le dire seul ou le penser seul, pourra peut-tre nous permettre de distinguer, "les bonnes intentions des fausses bonnes intentions"122. D’autant plus que la constance dans l’effort est renouveler chaque faire.

Ce qui est fait est fait une bonne fois pour toutes, mais est-ce suffisant ? Doit-on pour autant penser que ce qui est fait n’est plus faire. Mais que s’agirait-il de montrer dans le re-commencer ? Serait-ce imitation ou puret de l’intention ? Pire, un faire qui se duplique prend conscience de son courage, de son innocence, et se regarde faire pour finalement s’imiter. Manifestement, il manque quelque chose pour que l’on comprenne mieux le sens de ce faire si important. Il manque sans doute une valeur, dfaut de terme plus appropri, ou plutt une sorte de je-ne-sais-quoi pneumatique propre donner sens et vrit un faire, sans lequel nous ne serions rien ou "non-tre"123. Cette notion transfigurative ne pourrait-on pas lui donner le nom d’amour ? C’est ce que dans cette dernire partie nous essayerons de sentir.

 

 

C) Le faire se dcline selon l’esprit de l’amour :

 

1) CONTRE TOUTE RAISON CE QUI EST FAIT RESTE FAIRE :

Il faudrait pouvoir introduire l’ide de capitalisation et de progrs pour que le faire donne l’impression que ce qui est fait, est acquis une fois pour toutes. Y a-t-il pour Janklvitch une capitalisation vertueuse ? Car le faire ici est avant tout moral. Un faire se mesure au degr d’intention qui le prcde. Or tous les hommes procdent par intention, le problme est de savoir quelle est la nature de cette intention. Mais la question du degr d’intention est bien vite inutile lorsqu’il s’agit de se rendre compte que le faire, comme nous l’avons vu est inscrit dans le temps. Il s’agit donc de savoir si le temps est garant du faire, et dans quelle mesure il l’est effectivement.

"Il n’y a pas de progrs quantitatif ni de capitalisation vertueuse"124. Si le temps est garant de l’avoir-fait il ne l’est donc pas de l’intentionalit de cet avoir-fait. L’intention est l’objet le plus fuyant de la philosophie et comme c’est l l’objet premier de la philosophie morale, qui est dj parmi la philosophie quelque chose de particulirement vanescent, il s’ensuit que Janklvitch ne peut qu’affirmer que "Le malentendu est la revanche de la philosophie et de la morale, sciences inexistantes, inutiles, qui ont pour objet les choses les plus invisibles et les plus controversables"125. Une nouvelle fois nous comprenons combien il serait difficile d’avoir, en morale, des certitudes.

Ici, l’tude de l’intention s’impose. Savoir ce qu’elle est, pourra peut-tre nous faire nous rendre compte de la raison pour laquelle on ne peut la faire durer dans le temps.

L’intention est bonne ou mauvaise immdiatement pour Janklvitch126. Elle nous claire immdiatement dans le trs court laps de temps de l’instant. Elle ne fait aucune rfrence des valeurs antrieures. L’intention provient de l’immdiat vouloir et cette accolade avec l’immdiatet purifie le faire. Pourquoi cette bont de l’intention immdiate ? Son immdiatet rvle son fond. Dans l’immdiat on ne cherche pas de rfrences et de valeurs quoi se raccrocher. Ici le premier mouvement est le bon. Car il est celui qui vient "d’une certaine allure du vouloir et du coeur"127. L’intention immdiate du faire montre dans les oeuvres ce qui semble tre cach, c’est--dire le trfonds de notre vouloir. "La valeur de l’intention est donc catgorique et anhypothtique"128 car elle est sourde toutes les sirnes des multiples autres raisons, de faire ou de ne pas faire. L’intention est toute entire tendue vers l’action, elle ne dlibre pas.

En revanche la vrit n’est bonne ou mauvaise que "selon les cas"129. En effet la vrit peut- tre bonne dire dans certains cas, mais savoir s’il faut toujours dire la vrit au malade relve d’un cas trs particulier. La vrit n’est pas juge d’aprs l’intention qui la prvaut. Au contraire de l’acte qui, lui, est toujours jug d’aprs cette intention "C’est en effet d’aprs l’intention (...)non d’aprs le rsultat(...)que l’on juge (crinein) d’un acte"130. L’intention est transcendante car elle est "au commencement et la fin de tout"131. Elle est le pneuma qui donne vie l’acte. Alors que la vrit en soi n’est rien; c’est dans sa mise en œuvre qu’elle devient vraie. C’est dans l’intention que l’on a de la faire parler, que la vrit acquiert ou non ses lettres de noblesse. Seule la manire de se comporter et de faire acte de vrit compte.

La vrit dans cette perspective est immdiate et actuelle dans l’œuvre et, lorsque l’on cherche la juger devient maladroite et fausse. Car "quand nous sommes enfin dans la vrit", c’est--dire lorsque nous croyons que nous sommes dans le vrai "quand la chose dont nous fmes contemporains -une œuvre un choix faire, un problme- est enfin comprise, c’est notre vrit qui n’est plus actuelle"132. La vrit n’est donc jamais contemporaine du mouvement fait par l’intelligence pour la reconnatre comme telle. La vrit ne se remarque donc que dans les oeuvres.

Or ces oeuvres renvoient l’intention qui les prside. Cette intention est toute entire concentre dans un devoir faire qui est aussi un devoir tre.

Le faire dans cette optique reste un faire toujours renouveler. Quelque chose qui est fait est fait, bien sr, et nul ne peut dfaire ce qui a t accompli, mme pas Dieu. Pourtant il reste encore se demander, si l’intention, qui est l’lan de l’action, n’a pas chang. Car la caractristique de l’intention est d’tre un quelque chose de fugitif, qui se donne tre dans l’clair d’un instant, celui de la concidence du faire et de la bonne occasion133.

Comme pour une conscience en verve tout peut-tre objet d’une bonne occasion134, il suffira que notre intention de bien faire prside l’attention que l’on portera au rel. Un peu la manire de cet Eros du Banquet "toujours l’afft des choses belles (...); n’est-ce pas un chasseur d’occasions ?"135.

Mais ce n’est pas suffisant, l’intention doit viter l’cueil de la conscience.

2) LA COMPLAISANCE, L’INNOCENCE, LA SINCRIT :

Le mouvement de l’intention est lie d’une trs troite manire la faon dont la conscience apprhende les vnements de la vie. Si l’intention tait pure alors la conscience du geste intentionnel n’aurait aucune incidence sur le geste lui-mme. Mais l’intention est aussi brve et clairante que l’clair. L’intention est greve par le mouvement interne qui prend conscience du geste.

La complaisance, c’est le retour sur soi. C’est le mouvement moral qui ne s’accomplit plus dans l’instant136 mais qui se regarde comme chose accomplie et acheve. Tout le contraire de l’instant du mouvement intentionnel qui est "semelfactif". C’est--dire qui ne s’est accompli qu’une seule et trs unique fois. Ce mouvement dans son unicit nous fait douter de sa venue. Car ce qui est arriv une fois devenant pass et ambigu respire le flou, et dj nous nous demandons si ce qui est arriv est bien arriv. Le doute s’installe ds qu’il n’y plus confirmation du fait par un autre fait. La vrit est ici trs alatoire : a -t-on rellement ralis ce que l’on a fait ou n’tait-ce que le fruit de notre imagination ? Or un des moyens faciles pour se souvenir de l’action que l’on a commise est de la rpter, ou alors d’avoir un moyen de s’en souvenir (par exemple une mdaille qui atteste de l’acte courageux). Il n’y a qu’un tout petit pas franchir pour s’tablir alors dans la conscience satisfaite que l’on peut ressentir, par exemple, pour avoir hroquement sauv un tel de la noyade. Alors la mdaille est remise pour ne pas oublier le fait. Mais la conscience s’empresse sa manire de refaire l’acte pour elle-mme.

La conscience qui fut "la condition fondamentale de l’action rflchie"137 deviendra peu peu coupable de complaisance, coupable d’tre trop "bonne" conscience. Car il s’agit ici de la conscience satisfaite d’elle mme. Une bonne conscience qui avoue bien faire, qui avoue tre bonne intention est comme un cheval de Troie. Elle est elle-mme la mauvaise intention "cette mauvaise intention est la bonne intention elle-mme, ipsa, dtriore du dedans par la bonne conscience satisfaite qu’on en prend"138. La complaisance est l’ennemie du mouvement intentionnel. C’est une ennemie extrmement perfide et insidieuse. Elle russit transformer le bon mouvement en un mauvais par le seul fait qu’elle se pense comme bon mouvement. La bonne conscience est alors mauvaise non par le fait de l’adjonction d’un lment externe mais bien par toute la conscience se rendant compte de son acte. C’est la conscience de soi rflexive, "c’est--dire rflchissante et rflchie"139, qui rend la bonne conscience trop bonne pour tre vraie et pure. "Cette bonne conscience est donc rellement mauvaise et mme diabolique l’instant prcis o elle se sent bonne"140. Le mal provient de l’intrieur. Le danger est le savoir, trop conscient de lui-mme. Un savoir qui se montre en exemple et qui fait la roue est dj vici. Qu’est ce que la conscience mine de cette faon, si ce n’est ce que l’on pourra appeler, l’innocence.

C’est la trs fugitive innocence qui est ici bafoue. La conscience repue de son faire s’aplatit sur elle-mme, crasant dans le mme instant l’innocence qui fut la source de l’acte. L’innocence c’est--dire le pourquoi pas du faire. Le sourire du faire. Ce qui fait faire sans arrire-penses. Ce qui existe lorsqu’on ne la regarde pas comme "Anima recommence chanter lorsqu’Animus ne la regarde plus"141. L’innocence ne se regarde pas faire. Elle fait en sorte d’tre une des manires d’tre principale de tout faire moral. "Il suffit d’un souffle d’une trs lgre rflexion de conscience, pour que tout soit saccag, perdu jamais !"142.

Pourtant l’innocence laisse en friche la conscience, et le rle de cette dernire n’est-il pas de prendre conscience de ce que l’innocence fait raliser ? C’est l’quivoque de la vie humaine, son ambigut fondamentale. Le cercle dont on ne peut sortir indemne car "la dtrioration de l’innocence par abus de conscience est une contradiction constitutionnelle, car elle est implique intrinsquement dans l’exercice mme de cette conscience sans laquelle l’homme ne serait pas un homme..."143. La vie morale humaine oscille constamment entre le trop et le trop peu. Trop de conscience et trop peu d’innocence et vice versa. Mouvement vibratoire ou "battement dialectique "144 car "il s’agit ici d’une alternance entre la bonne conscience satisfaite et l’instant de dsespoir ou de dception qui la suit"145. Etudions plus avant la nature de cette innocence. D’abord, il ne s’agit pas d’une innocence nave de jeune premier, ou encore de celle de l’enfant qui il manque la connaissance, et qui pose questions sur questions. Bref, ce n’est pas une innocence de "bibliothque rose, une innocence en sucre candi"146 l’innocence dont nous parlons ici est une innocence redevenue innocente, une innocente dite "ultrieure"147.

L’innocence sans cesse perdue et retrouve introduit l’ide du mouvement et de la recherche humaine. Elle introduit l’ide de l’aventure. L’homme est cet aventurier-ncessaire. Voil son choix : ou il s’arrte sur le chemin et se satisfait d’avoir fait, prend conscience de son faire, reste dans une demi-conscience volontaire et s’embourgeoise auprs de Calypso qui lui offre dsormais le repos et le foyer; ou il dcide de ne pas tre satisfait, il accepte de se sentir complaisant, sa surconscience lui montre sa fatuit et son gosme; derechef il se remet alors sur le chemin et comme Ulysse abandonne Calypso148. L’innocent n’a plus qu’ se jeter corps et me dans la difficile empirie, dans cette quoddit o le faire moral humain exige un coeur reconquis par l’humilit, c’est--dire, de nouveau innocent149.

L’innocence ultrieure l’inverse de la complaisance rend pure les vertus. Elle est pneumatiquement la fondatrice de la vrit150. Ainsi pour vivre dans la vrit il nous faudrait toujours pouvoir rester fidle l’innocence "qui est d’aller toujours plus outre et de rester la fine extrme pointe de l’instant"151. Il faudrait pouvoir effiler sa conscience de telle manire qu’elle toucherait trs lgrement les moments o l’innocence pourrait faire acte de prsence en donnant son sourire.

L’innocence dveloppe une relation ambivalente avec la vrit. L’innocence et la complaisance se combattent pour obtenir la vrit. Et quand l’une des deux la possde l’autre ne l’a pas. Les deux ne la possdent pas de la mme manire. Si la vrit est dite l’innocent, alors il devient complaisant, et fier de ce qu’il sait il se regarde. En revanche si la vrit ne lui est pas dite, si au gnie on ne dit pas qu’il est gnial, alors il continue faire vibrer en nous son innocence, non souille par une prise de conscience un peu trop consciente.

Le dilemme est infernal. Soit on sait ce que l’on est, alors l’innocence n’est plus et la complaisance s’impose, soit la vrit doit nous tre cache pour que nous puissions continuer la faire tre au travers de notre nescience. Or "ces cachotteries ne sont pas dignes de l’homme. L’homme adulte sevr des priphrases et des ditions expurges est en tat de supporter les rudes nourritures de la vrit"152.

Comment faire pour que la vrit n’abuse pas l’innocent ? L est le problme. Pour Janklvitch la vrit peut-tre connue sans qu’elle rende le possesseur de cette vrit un peu trop imbu de sa personne. L’innocence dite ultrieure est seule capable de se rendre compte de la vrit sans que pour autant des paroles d’autosatisfaction la transforment en complaisance. Nous pouvons ici dcrire brivement ce que Janklvitch appelle "les quatre degrs de l’odysse morale de l’homme" 153 afin de comprendre quel niveau exactement se situe cette innocence ultrieure.

Premirement nous connaissons l’innocence citrieure, celle d’avant la connaissance, qui est appele de "bibliothque rose". C’est une innocence insouciante qui ne se sait rien.

En second lieu vient "la mdiocre demi-conscience"154. C’est le moment o la conscience est sortie du sommeil de l’insouciance par les paroles de la reconnaissance. Autrui reconnat en nous ce que nous sommes, et nous en faisons grand cas. Les compliments ne tombent pas "dans l’oreille d’un sourd", notre oue est ici, particulirement fine. Nous "gonflons"155 alors notre mdiocre petite part au dpend de celles des autres, et nous en sommes fiers. Nous voulons des honneurs !. Griss par ce que nous apprenons de nous, notre innocence est dloge au profit d’un moi qui se sait quelque chose. La conscience est de ce fait l’organe-obstacle de l’innocence. Mais l’instar du Dieu de la cration du Time, 37c, nous nous reconnaissons comme cratif, et nous tombons dans la complaisance de la dposition et de la rjouissance au lieu de recrer156.

En troisime lieu "l’extrme conscience de la sagesse"157 c’est le juste milieu de la vrit. La conscience ici s’affirme comme une parmi d’autres, certes elle est encore quelque chose, mais elle ne fait pas la roue. Elle connait sa vrit, sans que cela lui fasse faire des mines et des singeries de toutes sortes. Le moi est l’gal des autres, il est un autre parmi les autres. La modestie est ici reine, "intermdiaire entre excs et dfaut"158. C’est l’homme d’Aristote d’aprs Janklvitch.

Il reste enfin le quatrime degr de l’panouissement morale de l’homme, instigateur de son faire. Ici l’innocence est dite ultrieure. L’innocence sait depuis le deuxime degr, mais l elle dpasse le savoir non son profit (deuxime degr) ou dans une juste modestie (troisime degr) mais au profit de l’Autre159. C’est "l’extrmisme de l’humilit qui nous soulve ainsi au-dessus de toute modration" et de tout quatenus. Nous ne sommes plus, homme "en-tant-que", protgeant telle ou telle partie de notre savoir et par l protgeant notre petit ego. Nous savons ce que nous sommes, mais c’est dsormais l’Autre qui est au premier plan : "L’humble innocence pouse coeur perdu la cause de l’Autre"160. L’innocence est donc par nature expansive, elle va vers l’autre.

Pour que l’innocence ne soit pas fallacieuse il est ncessaire qu’elle soit aussi sincre. L’hypocrite ne peut pas tre innocent. En vrit en musique comme en morale, la question fondamentale c’est la question de la sincrit : "Problme infini..."161. Car il s’agit avant tout d’tre honnte envers soi. Il ne faut plus feindre ou porter un masque. Il faut cesser la comdie162. Dans cette mesure ne plus se forcer. Et ce ne sera pas l’clatement social qui s’ensuivra, mais l’amiti et l’amour, la conciliarit.

Une amiti et un amour qui proviendront du plus pur de cette innocence, qui reste un profond mystre, car c’est le mystre mme de l’ipsit qui est ici en jeu, mais qui par sa nature vridique rend vrai tous les sentiments prouvs. Dans cette mesure les faux-semblants ne marchent plus. Il faut tre sincre pour que l’innocence apparaisse dans son clatante et scintillante beaut qui donne le sourire tous, y compris ceux qui apparemment ne souriraient pas163.

De plus la sincrit rend pur. Elle permet le passage du pluriel des voix de la conscience la puret de l’innocence164. Elle rend viable le passage de l’innocence citrieure l’innocence ultrieure.

La sincrit est le signe de notre engagement rel. Cet engagement rel il est dcouvert dans l’empirie de l’action, car "rien n’est convaincant ni dcisif ni rvlateur d’une intention sincre sinon l’engagement dans l’effectivit du faire"165. Cette sincrit c’est la quoddit mme. Elle rend toutes les autres penses vraies et toutes les actions bonnes. La sincrit est ce mot qui rend "peut-tre raison et de l’inexplicable dfaut des oeuvres irrprochables et de l’indmontrable beaut des oeuvres rprhensibles"166.

Notre vocation est donc d’agir et d’aimer, et seule une trop pesante conscience de soi peut nous dtourner de cette direction167. L’exigence de sincrit, qui va de pair avec une innocence qui sait, mais qui n’est plus affecte par ce savoir168, engendre l’action humaine. Toute l’exigence humaine morale est donc tendue vers ce faire. Il nous faut faire car "le futur thique n’est pas tant venir qu’ faire"169. Mais, o, quand et comment faut-il faire ?

 

3) L’INCITATION JANKLVITCHIENNE AGIR...

"Le vent se lve, c’est maintenant ou jamais.

Ne perdez pas votre chance unique dans toute l’ternit,

ne manquez pas votre unique matine de printemps"

Vladimir Janklvitch, La manire et l’occasion, page 142.

Il faut faire et il faut faire tout de suite. Immdiatement c’est--dire ds qu’on le peut. Ds que l’occasion se prsente. Et l’occasion, c’est nous de la chercher, comme nous l’avons vu. Bref, nous pouvons faire et agir en fait aussitt que nous le voulons. Il suffit de vouloir pour pouvoir170. Voil la vrit de toute action morale humaine, un faire qui ne souffre aucun dlai.

Pour cela il y faut la ncessit d’une me convertie. Car l’cueil sera d’viter que la conscience ne trouble l’innocence et la puret "du prsent du bon mouvement"171 devenu pass. Il faudra donc que l’me soit toute entire tendue vers son but sans aucun moyen de se retourner sur soi ou sur son pass, car autrement elle se corromprait. Cette me doit tre convertie l’action, c’est--dire tout le possible. Car c’est "tout le possible (qui) doit tre fait"172. Et pour cela "l’lan de toute l’me"173 est requis sans cela nous tomberions dans de la quantit morale. Il ne s’agit pas de faire le plus possible, mais de faire avec profondeur et ds que possible. Il ne s’agit pas d’emmagasiner des actions comme des bons points ou en vue d’une nouvelle sorte d’indulgence !

Dsormais, le statut de la vrit changera du tout au tout. Car sans une volont qui agit dans le but de faire le bien, de faire tre la vrit, la vrit n’existerait pas. Dans la Rpublique de Platon le Bien est paradigmatique. Il est affaire d’imitation : nous sommes bons proportionnellement notre participation au Bien, pour lequel nous en devenons secondairement la reprsentation. Mais pour Janklvitch le bien n’existerait pas, s’il n’y avait personne pour le faire "Et nous, contrairement au dogmatisme nous prfrons dire que le bien n’existerait pas du tout, sans une volont pour le faire !"174. Or il y a un lien essentiel entre le bien et le vrai, sinon ce dernier "ne vaudrait pas mieux que le faux"175.

La vrit est donc aussi faire; bien sr il ne s’agit pas des vrits ternelles ou des vrits mathmatiques, mais de la vrit pure provenant de l’intention. Le souffle de cette intention sera examine plus loin. En attendant on sait qu’il faut faire (quod). Mme si nous ne savons pas vraiment ce qu’il faut faire (quid). " ce qui ne veut pas dire que tout soit bon condition d’tre voulu, ni que le Bien soit littralement n’importe quoi"176. En effet tel est le danger : croire que tout ce que l’on fait, parce que cela est fait, sera automatiquement bon. Le faire est l’œuvre de mon choix, mais la nature de ce choix n’est pas vouloir arbitraire. Il est autre chose : "dilection gratuite"177.

Ce quelque chose qu’il faut faire et donc en substance cette invitation agir, qui doit la mettre en œuvre, si ce n’est moi ? "C’est moi par rapport moi-mme et chacun des autres par devers soi"178. Car personne ne peut faire ma place. Mais le paradoxe c’est que tout le monde doit faire. "Le sujet est lui-mme englob"179 c’est ce qui donne ses lettres de noblesse " l’amiti et la fraternit thiques"180. C’est l’ide d’un moi au pluriel qui est derrire l’amiti, la "conciliarit"181, Sobornost. C’est l’ide que mon acte s’accomplit dans une "communaut des bonnes volonts"182, que je suis au milieu d’autres personnes, qui elles aussi agissent en leur nom propre et pour faire le bien. Ce qui est important, c’est l’existence personnelle du geste mme si tous sont invits raliser ce geste.

Il ne reste qu’une modalit rgler le moment du faire. Doit-on dlibrer, reporter le bien faire ou le mouvement de l’intention vrai et sincre ? Non, "le bien est une chose qu’il faut faire sance tenante"183. Et c’est mme la proximit de la dcision et de l’acte effectif que l’on reconnat le srieux d’une intention184.

Le quand ici n’est pas un quand calendaire, par exemple o l’on rpondrait : quand la lune monte. Ici, la question quand on ne rpond pas par une date prcise. "Puisque vous demandez quand, nous rpondons : tout le temps, toujours tout de suite, toujours tout moment et notamment l’instant mme, en ce moment, cette minute mme o nous le disons"185.

Demander quand, est donc ridicule. Il faut faire, un point c’est tout, et tout de suite ou jamais. L’exigence du faire s’accompagne donc de l’immdiatet, et mme de l’urgence. C’est ce qu’avec Janklvitch, on peut appeler se convertir la quoddit.

 

4) D’UN AMOUR TOUT PUISSANT :

De ce qui prcde il nous faut dterminer la cause principielle de l’lan de l’intention. Bref, savoir ce qui est essentiel et ce sans quoi l’intention ne justifierait pas le geste du faire. Savoir ce qui fait la vrit de l’intention. On le sait on l’a laiss entendre tout au long du mmoire, il s’agit de l’amour. Mais pourquoi l’amour ? Qu’a-t-il de si particulier ?

Sans l’amour les vertus ne seraient que sche application d’un principe altruiste : une caricature de vertus. Mais l’amour s’apprend-il ? Et comment alors appliquer quelque chose qui ne s’apprend pas, quelque chose qui donc chappe l’expos dialectique ?

Il faut que l’amour soit bien particulier pour que celui-ci ne puisse pas tre appris. Il ne peut pas tre appris, car l’amour est un presque-rien qui est un charme et le Charme "est l’quivoque et fuyante vrit de la manire intentionnelle qui sans cesse nous renvoie de ceci cela"186. C’est dans la manire que rside la vrit. Dans la manire qui est de source intentionnelle. La manire donne la vrit l’acte qui est ralis. Cette manire l’amour est la seule qui peut la faire tre avec succs. Car l’amour a toujours raison puisqu’il "arrange tout"187. Un acte fait avec amour porte en lui une vrit suprieure car pneumatique. Une vrit qui a partie lie avec le mystre par excellence, c’est--dire le mystre de l’ipse. C’est le mystre unique de cet Hapax humain qui est aim et amant car "le mystre lui est aux deux extrmits"188. Dans l’amour c’est un Tu qui s’adresse un autre Tu. Un dialogue sans verbe ou plutt qui n’est que verbe. N’est-ce pas l’au-del de toute vrit grammatique qui s’exprime ici ? C’est un dialogue qui s'excute dans l’instant immdiat du faire. Il sauve de la complaisance, par sa gratuit et sa spontanit189. On ne peut pas l’apprendre car sa soudainet est issue de la personne qui aime "parce que c’tait lui" voil et, l’amour est l. "L’amour commence par l’amour"190 disait La Bruyre et dans le mme esprit ce mot est repris par Janklvitch, o l’amiti n’est pas une propdeutique l’amour. La diffrence entre l’amiti et l’amour est la diffrence entre l’intervalle et l’instant providentiel de l’clair amoureux. L’amour se nourrit de son humilit alors que l’amiti est simplement modeste191. "L’amour nat adulte, comme Pallas Athn"192.

Ce Tu de l’amour c’est le toi que voici, toi qui es l et que j’aime. Toi mon aim. Ce n’est pas un Toi en gnral, Toi de la deuxime personne qui demeure un Toi impersonnel, stabilis, et qui n’est plus le rsultat d’un mouvement vers le toi-mme193. Ce mouvement vers toi, c’est un "je" qui le met en œuvre. C’est un coeur qui bat et qui sait pourquoi il vit. Et cela lui donne sa vrit, car il sait dsormais pourquoi il est sur cette terre194.

Dsormais "je" vis pour toi. "Je" vis pour toi en mourir. Car celui qui aime l’infini rencontre la mort sur sa route. Et l’amour en tant qu’elle est la vocation de l’homme195 est absolument exigible, infiniment exigible. L’amour est "un engagement qui nous engage, thoriquement, jusqu’ l’absolu"196. C’est un des paradoxes de la morale humaine cette disproportion entre notre devoir d’aimer toujours, tout le temps et immdiatement et, la condition mortelle dans laquelle nous sommes plongs. Mais l’amoureux accepte cette condition et, mme la revendique comme preuve de son amour. Cet amoureux aime rellement son prochain comme lui-mme. Puisqu’il ne s’agit pas d’aimer l’autre comme une partie de soi-mme, mais d’aimer l’autre "autant qu’il s’aime lui-mme"197. C’est--dire jusqu’au sacrifice. Dans cette optique l’amiti est raisonnable, l’amour ne l’est pas198: elle est bien au-del de toutes les raisons, elle est comme l’Un de Plotin qui est au-del du Bien.

Le sacrifice c’est la volont de vivre pour l’autre jusqu’ en mourir : c’est la loi de l’amour. Celle qu’aucune raison ne peut comprendre. C’est la loi de la frnsie du toujours plus ou jamais assez. Car "l’amour fou aime follement, donc sans raisons.

Il est injustifi parce que lui-mme justifiant !"199. Dire "Usque ad mortem"200 c’est faire la double preuve de la sincrit et de la fidlit. Parce que l’on ne doit pas aimer jusqu’ un certain point, jusqu’ l’avant dernire heure par exemple. Mais jusqu’ la dernire heure et au-del si possible201. Pour que l’amour ne soit pas un mot parmi les autres. Mais le mot qui donne sens tous les autres. Dans le je t’aime jusqu’ en mourir, il ne s’agit pas de l’extravagance amoureuse du sacrifice dont peut parler St Franois de Sales, comme le fait remarquer Janklvitch202, mais il s’agit de comprendre que l’amour ne dit pas "hactenus" et ne prescrit aucune limite.

L’amour dit oui la vie et non, au non de la mort. Car "l’amour anime et active l’altration du mme et remet en marche l’tre qui s’endort"203. L’amour redonne vie la vie qui s’tait laisse endormir par la marche du temps.

On peut opposer ainsi le draisonnable de l’amour, et le raisonnable de la mort. La mort est toute raison dans la mesure o elle est inscrite dans la dfinition de l’homme comme mortel, mais l’amour dans sa draison dpasse la mort. "L’absurdit mme du sacrifice tue la mort ( tel est du moins notre espoir insens) et fait vivre le hros par del cette mort qu’il affronte et qui semble plus forte que lui"204. Ce sacrifice est donc "la mort de la mort"205. Il s’agit bien sr d’un triomphe pneumatique de la mort et non physique ou grammatique206.

C’est dans l’avoir t et l’avoir aim que la mort est de nouveau nihilise. Car comme nous ne pouvons faire qu’un acte n’ait pas t. La mort ne peut pas faire que nous n’ayons pas t. L’imprissabilit de la vie est dans la vie elle-mme207. Elle est dans cet amour intentionnel qui a sanctifi chacun de nos actes. La mort n’a fait que annihiler l’tre, mais elle tait impuissante annihiler le fait de l’existence de cet tre208. Finalement, c’est bien l’effectivit qui gagne la partie. Et cette effectivit tant d’autant plus effective qu’elle tait intentionnellement aimante, c’est--dire fcondante, elle aura bien t par-del la mort. C’est dans ce sens que l’on peut interprter les paroles de Janklvitch, o il dit reprenant les paroles de Raymond Lulle, qu’ "il est bien vrai que le dsamour est une mort" et il ajoute que l’amour "fait tre l’tre"209.

L’amour est ce titre plus fort que le mal. Qui est faible peut-tre de ses raisons ! Car l’amour pardonne au mal et l’impardonnable. Le pardon qui est d’essence amoureuse pardonne "absurdement"210. Il remet l’inexcusable. L’amour pardonne par-dessus les raisons du mal. L’amour n’a des raisons que rtroactivement et aprs coup211. C’est sans doute notre force que de pouvoir aimer, pardonner, faire-tre sans raison. Le pluriel des consciences est dtrn par le seul vocatif d’aimer. Plus fort sans doute que le diable, qui n’a qu’un seul recours, celui de s’adresser nos diffrentes consciences. A ce titre l, l’innocence de l’amour nous sauve du seul mal qui soit c’est dire du mauvais vouloir : la mchancet.

Vive l’amour qui n’a pas de raison et qui de ce fait n’est pas attaquable par les mielleuses raisons du Malin !

En conclusion, l’amour est bien "la solution unique dans tous les cas "212 et s’oppose cela la comptable justice qui "est la dtermination rationnelle et discursive de la vrit"213. L’amour en ce sens n’est-il pas "plus vrai que la vrit et plus juste que la justice ?"214.

L’amour est donc la vrit au-del de la vrit. Bref, un mystre qu’il nous faut saisir dans les occasions les plus fugitives de notre passage sur terre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5/ De la difficult d’atteindre la vrit et de la conserver. Occasion vigilance instant

De ce qui prcde nous pouvons nous demander, comment faire pour tre sr qu’une vrit que l’on aurait russit tablir soit encore vrai demain et aprs-demain. D’abord il nous faut nous demander s’il est de l’essence de la vrit d’tre valable ternellement. Ensuite se remmorer ce que nous disions du temps. Toutes nos vrits sont exprimes ou s’expriment dans le temps.

Ne dire que cela n’avance gure. Comment recevons nous une vrit quelconque ? Par exemple celle qui nous assure qu’une promesse sera tenue. Est-elle annonce prcde par quelque chose quoi nous pourrions la reconnatre. En ralit c’est une sorte de certitude immdiate sans annonce mais qui ne peut apparatre qu’ ceux qui ont une position rceptive. Rceptive mais non passive.

Cette attitude de recueil est ce que Janklvitch essaye non de dvoiler mais au moins de cerner et de dire.

L’attitude propice l’apprhension de la vrit est tension toujours renouvele.

((6/l’occasion; A REPLACER DANS DEUXIEME PARTIE (B) 3mement)

 

 

 

 

 

----------------2/ Vrit et morale : Ligaments.

Janklvitch est un auteur que beaucoup qualifient de moraliste. Mais ce que nombre de critiques oublient parfois de dire c’est le sens nouveau et clairant que Janklvitch russit exprimer avec ce terme dont il convient de reconnatre son impopularit dans la philosophie post-scolastique. Pour lui la morale n’est pas svre mais srieuse. Il est inutile de lui octroyer une majuscule car la morale est affaire personnelle et de ce fait l’on ne doit pas l’riger en un systme prcis. Janklvitch ne nous offre pas un code qu’il nous faudrait respecter sous peine de poursuites ici-bas ou au-del.

Dans cette mesure la vrit de la morale ne peut tre clairement dfinie ou reconnue par tel ou tel d’entre nous. La vrit d’un mouvement moral se reconnatra l’intention qui la sous-tend. Or qui peut se prvaloir de connatre la relle intention d’autrui ? Sans fausse modestie personne. La morale et la vrit auront donc des liens trs troits si troits que peut-tre toute vrit est morale sans pour autant que toute morale renvoie la vrit. La morale sera donc presque "quasi" toute entire vrit. Il suffira d’une once d’un quelque chose imperceptible infinitsimal pour que la morale ne soit pas illumine par la vrit et tourne au vinaigre. Quelque soit le nom que l’on pourrait accorder au mouvement qui rendrait mensongre une vrit morale, une hypocrite bienveillance, un mouvement rtroactif de la conscience, il nous faut nous rendre l’vidence que toute "morale" n’est pas d’autorit bonne. La morale ne comporte pas en soi et priori le critre de la vrit. Ce qui ne l’empchera aucunement et peut-tre mme l’aidera ne pas se cantonner quelques lieux communs des actes moraux.

Ainsi prcise Janklvitch "la morale est partout comptente mme...et surtout dans les affaires qui ne la regardent pas"215.Il s’agira donc d’viter que la morale renvoie certaines situations prcises, un champ pr-dtermin et froid, de rponses sans visage. Le critre de moralit, c’est--dire de vrit d’un acte moral, tant donn par l’intention qui l’a port au monde.

Puisque une morale qui n’est pas vraie n’est pas une morale, les liens qui uniront vrit et morale seront si tnus qu’ certains endroits nous serons tents de remplacer indiffremment l’un des termes par l’autre. Il s’agira pour nous de prciser la raison de l’amalgame.

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Avoir pu crire un chapitre sur l’exprience de la vrit montre que Janklvitch ne nie pas son existence contrairement ce qu’une imagination htive pourrait conclure aprs une premire prhension de l’ide du presque-rien, de cet instant clair qui nous claire. Comme le prcisa en 1954 Janklvitch dans un article "le presque-rien n’est pas un presque-tre ou presque quelque chose... D’autre part nous le diffrencierons du presque-rien de l’approximation probabiliste"216.

C’tait ici indiquer le rapport au temps qu’il nous fallait mettre en valeur. C’est l’instant clair concentr ramass sur lui mme qui donne cette impression d’avoir combl un vide de sens, une recherche qui tournait en rond.

 

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